Jean Daniel Causse dans son livre figures de filiation[1] énonce : « La filiation est
adoptive en ce qu’elle se constitue comme un acte de reconnaissance certes,
mais aussi en ce qu’elle rend manifeste qu’un être humain peut toujours se dire
à la fois fils ou fille de ses parents et fils ou fille d’une parole qui
demeure en excès ou en surcroît de ses parents parce qu’elle a une autre
origine. Pour être fils, il ne faut pas seulement naître d’un homme et d’une
femme. Il est encore nécessaire de naître d’une parole qui venant, d’ailleurs
est capable de rompre les déterminismes généalogiques. » Nous reprenons
ici l’analyse de Jean Daniel Causse sur « la figure exemplaire d’Abraham»[2].
Commençons déjà par la non reconnaissance de son fils par son père. Ce dernier
le nomme le nomme Abram, ce qui signifie « mon père est grand » ou
« mon père est élevé ». Il nomme également sa fille, née d’une autre
femme, Saraï « princesse de moi » et mariera plus tard les deux
enfants : ceux-ci sont donc demi-frère et demi-sœur. Le père tente vraiment de
se poursuivre à travers ses enfants. Dieu va changer leurs noms et par,
cette « renomination », leur offre un destin qui ne s’inscrit pas dans le
projet de leur géniteur. Il les renomme Abraham, ce qui veut dire « père
du peuple » et Sara qui veut dire « princesse ». Notons au passage que nous
écrivons aussi Sarah avec un « h ». Est-ce la hache de la castration ? Il
faut préciser que ce n’est pas l’explication savante : le h (hê), serait
l’indicatif du féminin et de la fécondité. La même lettre se retrouve dans le
nom d’Abraham[3].
Ce qui est symbolique de leur destinée. Ils échappent ainsi à l’enfermement que
leur imposait leur père. Quand Sara devient mère à un âge avancé, Abraham
doute. En effet, le Seigneur visita Sara. Abraham n’intervient pas dans la
naissance d’Isaac, alors qu’il est bien le géniteur d’Ismaël. Dieu demande à
Abraham d’admettre le fils de Sara comme fils. Il en sera de
même pour Joseph avec la naissance du Christ. Mais Abraham doute
de ce qu’il entend, il croit deviner un autre sens à la parole de Dieu et c’est
par son interprétation erronée qu’il pense que Dieu lui demande le sacrifice de
son fils. Jean Daniel Causse parle de « voix féroce ». Il ajoute : « C’est
la voix fantasmatique de Terah [l’ancêtre] qu’Abraham doit
éteindre en lui afin de pouvoir vivre, lui, et son fils Isaac. » Le bélier symbolise cette
voix qui doit disparaître. En tuant le bélier, il tue le père biologique,
« la figure paternelle archaïque, le Père tout puissant qui jamais ne veut
disparaître et qui toujours possède sa descendance[4] ».
Il s’affranchit de la logique de prédétermination auquel le destinait la lignée
généalogique. Il se tourne vers le futur, vers son fils en qui il reconnaîtra
ce qu’il a reconnu en lui : l’excès qui le fait autre. Dans l’exemple
d’Abraham, nous trouvons réunis un condensé de ce qui fait un père et de ce qui
fait un fils. Ainsi nous avons une meilleure compréhension par le récit de ce
qu’est la permutation symbolique des places. Il montre l’erreur de Terah qui ne
donne pas à son fils les moyens de le quitter car il veut le maintenir dans
l’assujettissement pour se prolonger en lui, c’est Dieu qui le fait renaître en
le renommant.
[1]
Jean-Daniel CAUSSE, Figures de la
filiation, Paris, Éditions du Cerf, 2008
[3]
Monique BYDLOWSKI, La dette de
vie : itinéraire psychanalytique de la maternité, 5e éd. mise à jour., Paris, Presses universitaires de
France, 2005.
[4]
Jean-Daniel CAUSSE, Figures de la
filiation, Paris, Éditions du Cerf, 2008
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